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Avec mes émissions sur Marcel Legay à
France Culture en 2014 (Chanson Boum d’Hélène Hazéra)
France Musique en 2014 (Tour de Chant de Martin Pénet),
je n’ai pas vraiment innové en la matière.
Mon oncle Guy Berthet l’avait fait avant moi… et de fort belle manière.
C’était le 28 avril 1956, sur les ondes radio de la « Chaîne Parisienne » de la RTF (Radiodiffusion-Télévision Française), au cours de l’émission :
« Marcel Legay, chansonnier de la Belle époque » de Georges Millandy[1].
A cette époque les programmateurs radio n’hésitaient pas à faire venir les chanteurs et musiciens en studio pour enregistrer leur prestation en direct. C’est ainsi qu’à l’écoute de cette émission d’anthologie nous aurons le privilège d’entendre Marcel Legay chanté par les fameux artistes du cabaret du Lapin Agile que sont Yvonne Darle[2] et Marcel Nobla[3], l’excellent chanteur populaire Aimé Doniat[4] et, cerise sur le gâteau, la soprano lyrique Mathé Altéry[5] !
Au-delà du ton un rien empesé typique de la radio de l’époque, l’émission est très riche d’informations sur la vie et l’œuvre de Marcel Legay. A cet égard le témoignage direct de son neveu Guy Berthet est particulièrement intéressant.
Les chansons interprétées en direct constituent de véritables pépites avec en prime absolue la superbe interprétation de « L’heure du rendez-vous » par Mathé Altéry. A ma connaissance, il n’existe aucun autre enregistrement de cette chanson, écrite et composée par Marcel Legay, et dont le « petit-format » – à une époque où les enregistrements sonores n’existaient pas encore – a assuré la célébrité à travers la France de la fin du XIXe siècle. C’est un véritable petit chef-d’œuvre.
Une autre pépite de cette émission est la chanson « Pour un baiser de femme », écrite et composée par Marcel Legay, qui est enregistrée ici pour la toute première fois, mais aussi pour la toute dernière fois, à ma connaissance. Elle est interprétée par Aimé Doniat.
Note : Les enregistrements mp3 donnés ici sont disponibles en streaming mais non téléchargeables. En effet, ceux-ci sont extraits d’un document audio INA à diffusion restreinte que j’ai obtenu en tant qu’ayant-droit du patrimoine musical Marcel Legay[6].
L’émission entière Emission « Marcel Legay Chansonnier de la Belle Epoque » de Georges Millandy, 1956.
Il s’agit là de l’enregistrement de l’émission complète (35 minutes), diffusée le 29 avril 1956, sur les ondes de la « Chaîne Parisienne » de la RTF. Georges Millandy qui a bien connu Marcel Legay aux Soirées du Procope et au cabaret des Noctambules reçoit Guy Berthet, neveu du chansonnier. Guy Berthet n’avait que huit ans à la mort de Marcel Legay, mais le souvenir du vieux maître reste très vivace dans son esprit. Leur discussion est émaillée de chansons ou d’extraits de chansons enregistrés pour l’occasion par Marcel Nobla, Yvonne Darle, Aimé Doniat et Mathé Altéry.
Autant de témoignages exceptionnels pour l’histoire de la chanson française.
Les chansons données ci-après sont des extraits de l’émission.
Le Moulin Rouge Le Moulin Rouge, Marcel Nobla, 1956.
Le Moulin Rouge [1894] est l’une des plus belles « Chansons Rouges » de Maurice Boukay, alias Charles Couyba, député, sénateur et ministre de la IIIe République. Fort malheureusement, Marcel Nobla n’en chante ici que premier couplet : « Sur la hauteur tout près des cieux ».
Mes moutons Mes Moutons, Marcel Nobla, 1956.
Ecrite par le poète Charles Quinel, Mes moutons [1892] et l’une des superbes « chansons patriotiques » façon Legay. Dans ce type de chanson, le berger (le mineur, le paysan,…) ne part pas à la guerre mû par une quelconque envie belliqueuse ou une irrépressible impulsion revancharde, mais tout simplement parce que son pays, sa terre, sa famille sont attaqués, et qu’il doit s’engager. Dans l’extrait proposé on entend un court extrait du refrain — « J’aime mieux garder mes moutons » — par Guy Berthet (?), puis le premier couplet — « Je suis le voyageur qui passe » — et à nouveau le refrain, par Marcel Nobla.
Et voilà pourquoi Madeleine Et voilà pourquoi Madeleine, Marcel Nobla, 1956.
De cette chanson, qui date de 1890, son auteur — Léon Durocher — disait, en faisant semblant de le regretter : « elle ne m’appartient plus ! Marcel Legay l’a tellement fait sienne que, dans mes propres spectacles, le public me réclame « Ma-de-leine ! Ma-de-leine ! La chan-son de Mar-cel ! » ».
Ici on n’en entendra, et c’est bien dommage, que le troisième et dernier couplet — « J’ai fait l’école buissonnière… » — chanté par Marcel Nobla.
Pour un baiser de femme Pour un baiser de femme, Aimé Doniat, 1956.
Cet enregistrement est tout à fait exceptionnel !
Pour un baiser de femme est l’une des toutes premières chansons écrites et composées par Marcel Legay, en 1880. Il n’existe aucun autre enregistrement de cette chanson que cette version d’Aimé Doniat.
L’heure du rendez-vous L’heure du rendez-vous, Mathé Altéry, 1956.
Là encore, cet enregistrement est tout à fait exceptionnel !
Il contient les premier et quatrième couplets de L’heure du rendez-vous, chanson à succès, écrite et composée par Marcel Legay, en 1878, soit trois ans avant l’avènement du Chat Noir.
Cette chanson est introuvable dans les discothèques publiques et privées les mieux fournies.
Elle est chantée ici par la voix cristalline de la divine Mathé Altéry, le rossignol des années 1950. Un must absolu.
Tu t’en iras les pieds devant Tu t’en iras les pieds devant, Marcel Nobla, 1956.
Une autre des « Chansons Rouges » de Maurice Boukay, éditée une première fois en 1895. Bien loin de la version qu’en donne Georges Brassens, Marcel Nobla, en un seul des quatre couplets de cette chanson, nous donne une petite idée de l’interprétation dramatique qu’en faisait le maître Legay au cabaret des Noctambules. Ce qui faisait dire à Théodore Botrel : « Dans l’exécution de toutes ces œuvres — mises en musique par lui — il était superbe ; mais, dans Tu t’en iras les pieds devant, il était tragiquement beau et nul ne pouvait entendre claironner sa grande voix sans frissonner d’épouvante, comme si elle eût été une avant-courrière de la trompette du Jugement dernier. Tu t’en iras les pieds devant ! Brrr ! »
Va danser Va danser, Yvonne Darle, 1956.
Les paroles de Va danser [1905] sont dues au poète beauceron anarchiste Gaston Couté. La chanteuse qui a le plus souvent interprété les chansons de Marcel Legay est sans conteste Yvonne Darle. Tous les soirs, ou presque, au cours des nombreuses Soirées du Lapin Agile elle chantait une ou plusieurs des chansons du vieux maître. Je me souviens d’elle, dans les années 1960, chantant, superbe et inspirée, Sans rien dire, Le bleu des bleuets, Va danser… Pour cette dernière, on retrouve ici la même qualité d’interprétation qu’au disque — en direct du Lapin Agile, en 1955 — mais avec une meilleure prise de son . Et toujours avec son vieux complice du Lapin, Marc Berthomieu, au piano.
Le bleu des bleuets Le bleu des bleuets, Mathé Altéry, 1956.
Le bleu des bleuets [1892] est l’exemple même d’une chanson minimaliste pleinement réussie. Sur une poésie champêtre toute simple d’Edmond Haraucourt, Marcel Legay a su poser une mélodie limpide. Georges Brassens la fera connaître au grand public comme une des chansons qui ont marqué ses jeunes années. Autant je suis réservé sur l’interprétation au disque de cette chanson par Mathé Altéry, trouvant l’orchestre un peu trop lyriquement « encombrant », autant on atteint ici la perfection dans la simplicité. On peut ainsi profiter pleinement de la qualité de la diction et de la limpidité de la voix de notre rossignol des années 1950.
Sans rien dire Sans rien dire, Aimé Doniat, 1956.
Une des plus belles chansons du maître, publiée en 1899, sur un texte du poète Claude Moselle, aujourd’hui complètement tombé dans l’oubli. Sur la vingtaine d’enregistrements existants les interprétations de Cora Vaucaire et d’Aimé Doniat sont, à mon avis, les meilleures. Dans l’enregistrement donné ici, Aimé Doniat, accompagné par Marc Berthomieu au piano propose une interprétation toute empreinte de délicatesse et de finesse. Une belle réussite.
Virelai d’Alsace Virelai d’Alsace, Marcel Nobla, 1956.
La partition de Virelai d’Alsace, dont Marcel Legay compose la musique sur un texte de Louis Hérel est éditée en 1896. Evoquant la solitude des familles françaises passées sous le joug prussien, la chanson — dont le titre peut aussi se lire comme « Vire-les d’Alsace » — devient vite un succès en cette période dominée par le slogan « Rendez-nous l’Alsace et la Lorraine ». Dans l’extrait donné ici, nous n’entendons que les deux premières strophes de la chanson clamées par un Marcel Nobla décidemment très en forme.
Ecoute, ô mon cœur Ecoute ô mon cœur par Aimé Doniat, 1956.
Ecoute, ô mon cœur est celle parmi toutes ses chansons que Marcel Legay préférait. Celle que lui aurait chantée son amie, la chanteuse Eugénie Buffet, sur son lit de mort, dit la légende… Marcel Legay en a écrit les paroles et la musique en 1904. Avec Va danser, c’est la chanson du maître qui a été le plus souvent enregistrée (26 versions chacune). L’enregistrement diffusé lors de cette émission radio est, là encore, tout à fait exceptionnel : Aimé Doniat n’a jamais gravé d’enregistrement commercial pour cette chanson.
Au Moulin de la Galette Au Moulin de la Galette, Aimé Doniat et Mathé Altéry, 1956.
Vers 1880, le jeune Gérault-Richard — vingt ans à peine, pas encore député socialiste de la Seine, puis de la Guadeloupe — accompagnait Marcel Legay à l’orgue de Barbarie quand celui-ci chantait ses chansons à pleine voix dans les rues et les cours d’immeuble : Pour un baiser de femme, L’Heure du rendez-vous… Par la suite, Gérault-Richard écrira les paroles d’une trentaine de chansons de Marcel Legay dont celle-ci, Au Moulin de la Galette, en 1883. Qu’il s’agisse de paroles ou de la musique, on sent très nettement l’influence de l’opérette d’un Offenbach qui vient tout juste de disparaître. On ne connaît que deux enregistrements de cette chanson, par des artistes amateurs. Il est fort dommage qu’Aimé Doniat et Mathé Altéry n’aient enregistré ici qu’un seul des trois couplets de cette petite merveille d’entrain et de bonne humeur.
[1] Georges Millandy (1870-1964) : chansonnier et auteur de chansons. Il fait connaissance de Marcel Legay aux Soirées du Procope et se produit en même temps que lui au cabaret des Noctambules.
[2] Yvonne Darle (1902-1994) : chanteuse mythique du Lapin Agile. Elle est l’épouse de Paulo (Paul Gérard : 1895-1977), le patron du Lapin, lui-même fils de Frédé [1860-1932], le célèbre patron du cabaret au début du XXe siècle. Yvonne Darle est aussi la mère d’Yves Mathieu, l’actuel directeur du Lapin.
[3] Marcel Nobla, chanteur et guitariste, il excellera dans divers registres de la chanson qu’elle soit traditionnelle, historique, révolutionnaire, paillarde,… Au Lapin Agile, il chantera Aristide Bruant et Marcel Legay. Son interprétation de Si la Garonne avait voulu de Gustave Nadaud est restée dans la mémoire des fidèles du Lapin.
[4] Aimé Doniat (1918-1973), artiste lyrique, spécialiste de la chanson française, de l’opérette et de l’opéra-comique. Sa voix de baryton-martin, tout à la fois douce et puissante, en a fait un interprète particulièrement apprécié des grandes pages du répertoire.
[5] Mathé Altéry (née en 1927), le « rossignol des années 1950 » : soprano lyrique à la voix légère et cristalline, elle connaîtra un beau succès populaire vers le milieu du XXe siècle, notamment en chantant des airs d’opérettes et des mélodies françaises.
[6] Données INA : Identifiant de la notice : PHD89021381 ; Titre propre : Marcel Legay, chansonnier de la Belle époque ; Date d’enregistrement : 04/04/1956 ; Date de diffusion : 28/04/1956 ; Durée : 00:35:22 ; Société de programmes : RTF ; Canal de diffusion : Chaîne Parisienne ; Canal de diffusion (code) : CP ; Générique (Aff. Lig.) : PRO Millandy, Georges ; REA Isker, Abder ; INT Darle, Yvonne (chanteuse) ; INT Nobla, Marcel (chanteur) ; INT Altéry, Mathé (chanteuse) ; INT Doniat, Aimé (chanteur) ; INT Berthomieu, Marc (piano) ; PAR Berthet, Guy.